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     La majorité des emplacements pour casque à l’entrée du garage étaient vides, tout le monde était déjà là. Il remonta le couloir en replaçant son casque sur ses oreilles. Il se dressa sur la pointe des pieds et administra une petite tape au logo de son écurie, floqué sur l’une des poutres.   

     Beaucoup de gens avaient payé pour obtenir une place privilégiée dans le garage. Il fit quelques saluts de la main, et se réfugia à l’opposé, loin d’eux, et loin des caméras.   

 

     Les jours semblèrent encore plus longs, si cela était possible. Heureusement pour Antton, Marietta avait eu une idée extraordinaire, qui l’occupa presque toute la journée : à pied ou en bus, il fit le tour des garagistes Manchester à la recherche d’une mobylette. Agnès et elle avaient insisté pour participer, ce qui était une aubaine pour lui, qui n’avait qu’un très petit budget. Avec une mobylette, il récupérerait l’autonomie qui lui manquait et pourrait se rendre sur le circuit aussi souvent que cela lui plairait — à condition qu’on le lui autorise.  

     Il ne trouva rien de concluant avant mardi, et une fois encore, Marietta proposa de l’accompagner, prétextant avoir une course à faire aux alentours.  

     Les paddocks étaient presque déserts, les écuries avaient eu vite fait de remballer leurs affaires. Antton avait suivi la course à la télé, un peu déçus de ne pas pouvoir y assister en vrai. C’était déjà le deuxième rendez-vous du championnat Mach 1, et Dixon s’en était sorti chaque fois vainqueur. Il se dirigea vers le garage où se trouvait sa voiture, regardant à droite à gauche pour tenter d’apercevoir le mécanicien. Ce fut lui qui vint à lui.  

     – Tu n’as pas eu de problème pour entrer ?  

     Il secoua la tête.  

     – Si on te demande, un jour, dis que c’est Ricky qui t’a demandé de venir.  

     – Vous êtes toujours ici ? demanda Antton alors qu’ils se remettaient en marche.  

     – En dehors des week-ends de course, oui. Les locaux de Cromwell sont juste à côté.  

     – Vous travaillez pour l’écurie Cromwell ?! s’exclama Antton.  

     Il hocha la tête.  

     – Je suis ingénieur de course.  

     – Vraiment ? Je vous ai pris pour un mécanicien, la dernière fois.  

     – Eh bien, j’estime que pour être capable de conseiller les pilotes au mieux, il faut que je connaisse leur voiture.  

     Antton était bien d’accord.  

     – J’imagine qu’il est inutile d’attendre plus de monde ? demanda Ricky en ouvrant la porte du garage.  

     Il secoua la tête. Il avait appelé les hommes recommandés par son oncle, mais aucun n’était disponible aujourd’hui. Antton les comprenait, mais s’ils ne pouvaient l’aider que les week-ends, cela allait corser l’affaire.  

Avec Ricky, ils débâchèrent la voiture, puis la placèrent sur un chariot pour pouvoir la transporter.  

     Il y avait déjà quelques pilotes qui tournaient sur la piste, et leur équipe les regardaient depuis les stands ou depuis le bord de la ligne des stands.   

     – Attends que le feu soit vert pour sortir, lui rappela Ricky après qu’il eut endossé son équipement.  

    – Combien sont-ils ? 

    – Cinq, répondit-il après avoir consulté le tableau des scores. Deux M2, deux GT et une M1.  

      Alors qu’il disait ça, la fameuse Mach 1 traversait la ligne de départ/arrivé à pleine vitesse. Swallows faisait des essais pneumatiques pour le compte de Oldridge Tires. 

Antton ajusta ses gants, puis se glissa dans son cockpit. Ricky s’assura qu’il était bien sanglé dans son baquet, puis lui fit signe d’y aller. En remontant la ligne des stands, Antton jeta un coup d’œil au tableau des scores pour se donner une idée du temps que faisaient les autres pilotes. Le feu passa au vert, et il s’élança sur la piste.  

     Il ne connaissait pas le circuit, et ses gommes étaient froides, alors il s’obligea à rouler doucement, hors des trajectoires, pour veiller à ne pas déranger les autres pilotes. La tâche fut difficile, il avait les doigts qui picotaient, et le pied qui mourrait d’envie d’écraser l’accélérateur. Il étudia les virages, les esses et la façon dont ils se succédaient avec les lignes droites. Ce circuit était bien différent de Paromar, mais il adora cette nouveauté.  

      Après deux tours de préparation, il s’élança pour son premier tour chrono. Sur le bord de la piste, Ricky l’observait avec attention. Parmi les autres voitures, celle d’Antton faisait tache, et ils étaient nombreux à l’avoir pointé du doigt dans la ligne des stands.  

    – Qui est-ce ? demanda l’un des mécaniciens avec qui Ricky avait l’habitude de travailler.  

     – Antton Torres, le pilote Portoricain qui a gagné une place sur la grille du championnat.  

     – Il est bon ?   

     – Aucune idée, rétorqua-t-il en s’éloignant du bord de la piste.  

     Antton venait de rentrer.   

    – Je pense que c’est la courroie de distribution qui est desserrée, fit-il en s’extirpant de la voiture.    

     – Tu l’as deviné juste au bruit du moteur ? 

     – Il y a beaucoup d’intuition, aussi, répondit-il avec un sourire.  

 

    – Et il avait raison. Je ne veux pas parler en ton nom, Ricky, mais j’imagine qu’à ce moment, tu as dû te dire que tu avais eu du nez.   

     – Il est clair que j’ai été impressionné lorsque j’ai ouvert le capot et constaté les faits. Cette session d’essai fut... riche en émotion. Il rentrait toujours après quelques tours, faisait corriger d’un dixième l’angle des ailerons, modifié d’un iota le réglage des suspensions ou la géométrie des roues, et il allait toujours plus vite. Et je savais bien que ce n’était pas représentatif des conditions de courses, mais j’ai su tout de suite qu’il n’y avait pas moyen que je rate un seul des Grands Prix de cette saison.  

 

     Tallulah entendit le carillon de la porte d’entrée et quitta la réserve en s’essuyant les mains sur son tablier. Elle reconnut sans mal le beau garçon qu’elle saluait tous les matins, et son sourire s’agrandit.  

     – Y’a-t-il quelque chose qui te plaît ? demanda-t-elle en le rejoignant.  

     Il sursauta.  

     – Eh bien, oui.  

     Il la regarda dans les yeux, puis devint rouge comme une pivoine.  

     – Les... Les fleurs roses... bafouilla-t-il.  

     Tallie sourit de plus belle.  

   – C’est pour une occasion particulière ? demanda-t-elle en commençant à composer le bouquet.  

    Elle espérait bien qu’il ne dirait pas que c’était pour une fille.  

   – C’est pour remercier ma logeuse, répondit Antton en la suivant à distance. J’ai peur de devoir partir à la fin du week-end, alors je voulais la remercier pour tout ce qu’elle a fait pour moi.  

    – Pourquoi devrais-tu repartir ? demanda Tallie sans pouvoir cacher sa déception.  

    – C’est un peu long à expliquer, mais... Je participe à une course de Mach 2, ce samedi, et si je ne remporte pas de prix, je n’aurais probablement pas de quoi participer à la course suivante.  

    Ce qui signifiait terminer dans les points, et de préférence le plus haut possible dans le classement. Il avait longuement discuté avec Ricky et avec ses mécaniciens, et avait pu voir quelques enregistrements des courses de l’année précédentes. La concurrence serait rude, bien plus qu’au Brésil.  

    – Je vois... Tu vas courir sur le circuit de Manchester, c’est ça ?  

    Même jusqu’à Daisy Hill, tout le monde connaissait le circuit, et chacun avait déjà vu une ou deux fois les Machs traverser la ville pour s’y rendre lorsque leur circulation était autorisée.  

    Le père de Tallie avait été un grand fan de course automobile dans sa jeunesse, et lui et son frère avait passé de longs après-midi à jouer aux pilotes en dévalant les rues sur leurs bicyclettes. Elle n’avait jamais suivi aucun championnat, et n’avait jamais vu aucune course du début à la fin, mais elle connaissait certains noms du sport, et cela ne lui semblait pas si terrible d’avoir à s’y intéresser si Antton venait à rester... 

Il hocha la tête.  

     – Je croiserai les doigts pour toi, fit Tallie en lui présentant le bouquet.  

     – Gracias... murmura-t-il, les joue à nouveau en feu.  

     Tallulah alla faire un emballage, puis l’encaissa. Antton prit le bouquet, puis un silence gêné s’installa alors qu’il dansait d’un pied sur l’autre.  

     – A... A quelle heure aura lieu la course ?  

     – Le départ est à quatorze heures, s’empressa-t-il de répondre.  

     – Alors tu auras fini vers... 

    – Quinze heures, environs. Mais je ne serais probablement pas de retour avant dix-huit heures.  

     Elle hocha la tête.  

    – Peut-être pourrais-tu... Je finis à seize heures le samedi, mais si tu veux venir me voir pour me dire comment ça s'est passé, je serais au pub de mon oncle, à deux rues d’ici.  

    – Oui bien sûr, je viendrai. 

     – Alors... A samedi ?  

    Il hocha la tête, tout sourire, puis quitta la boutique avec le cœur qui battait la chamade. Peut-être avait-il eu tort d’aller lui parler s’il quittait l'Angleterre à la fin du week-end, parce qu'à présent, il était certain de ne pas réussir à se la sortir de la tête.  

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     Lorsque Tallie quitta le fleuriste, ce soir-là, elle était comme sur un petit nuage. Elle se rendit au pub, salua les habitués, et son oncle Flo, derrière le bar. Elle passa derrière, où, comme chaque jour, l’attendait un grand verre de grenadine.  

     – Dis Flo, tu sais si on peut voir la Mach à la télé ? 

     – La Mach ? s'étonna-t-il en se tournant vers elle. Tu t’intéresses à la course ? 

    – Eh bien, j’ai appris qu’il y avait une course, ce week-end. C’est vrai qu’il y a un circuit tout près d’ici, alors je me dis pourquoi pas...  

     Flo cessa ce qu’il était en train de faire et se pencha par-dessus le bar. 

     – Charlie ! l'appela-t-il. Ta fille s’intéresse à la course !  

     – Quoi ? l'entendirent-ils glapir.  

     Une chaise racla dans la salle, et il les rejoignit à grands pas.  

    – Le jour très saint est-il enfin arrivé ? fit-il théâtralement. Tallulah Collins, es-tu enfin prête à entrer dans le cercle très fermé des fans de sport auto ?  

   – Ne sois pas aussi dramatique, tu veux ? demanda sa fille avec un demi-sourire. Je voudrais simplement regarder la course de samedi.  

     – Samedi ? répéta Flo en haussant un sourcil. Mais le Grand Prix est dimanche, il n’y a que les essais et les qualification le samedi.  

     – C’est la Mach 2 que je voudrais voir, expliqua Tallie.  

    – Ah, fit Charlie, déçu. Étonnant. C’est très spécifique pour quelqu’un qui n’y connait rien, ajouta-a-t-il, suspicieux.  

     – C’est que... bredouilla Tallie, j’ai rencontré un pilote de Mach 2 à la boutique.  

     – Ah, je comprends mieux toute l’affaire, sourit Charlie.  

    Tallie avait le cœur qui battait la chamade en repensant à Antton, mais aucun des deux hommes ne sembla s’en apercevoir, déjà occupés à parler de course et de chaîne télé.  

    – Tu verras, Tallie, il n’y a rien de mieux que la course, conclut Charlie après qu’ils se soient mis d’accord pour diffuser le week-end sur la télé du bar.  

     Les deux frères étaient ravis, cela faisait un moment maintenant qu’ils n’avaient plus suivi de près le championnat de Mach 1, et en avoir reparlé les replongea dans leur passion.  

     – Je ne sais même pas s’il y a encore des pilotes que l’on connait sur la grille, songea Flo.  

     – C’est vrai que j’ai complètement décroché depuis que Monteiro est décédé, fit Charlie.  

    – Je me souviens de lui, fit Tallie, qui avait déjà entendu ce nom. Il n’est pas mort au cours d’une course ? 

     – Si, si, il y a six ans. Pouah, c’était horrible. Ça m’a dégouté du sport.  

      – Vraiment ? 

      Les deux frères hochèrent la tête.  

     – Silvio Monteiro était sans conteste l’un des plus grands pilotes n’ayant jamais couru, expliqua Flo. Lui et Graham Adnet se livraient chaque week-end une bataille sans merci. Adnet avait la sagesse et la précision, Monteiro avait la hargne et l’ingéniosité : il parvenait toujours à faire des manœuvres fabuleuses. Il y a eu un problème hydraulique sur sa voiture au Grand Prix d’Espagne, ça lui a empêché de tourner dans un virage et sa voiture a fini sa course dans une maison.  

     Tallie fit la grimace, horrifiée.  

      – C’était terrible, se souvint Charlie. On était resté suspendu à la radio pendant des heures en attendant le verdict.  

      – Je ne comprends pas comment on peut ainsi se mettre en danger, frissonna Tallie.  

     Il haussa les épaules.  

     – J’imagine qu’il faut courir pour le savoir, mais il doit bien y avoir quelque chose. Il y a tout de même moins de mort au fur et à mesure que le temps avance, c’est déjà ça.  

      – Sauf a Ostal Cristo... fit Flo.  

     Ils grimacèrent de concert.  

     – Qu’est-ce que c’est ?  

     – C’est... fit Charlie. C’est la plus grande course au monde, aucune autre ne peut rivaliser.  

     – Imagine un peu, poursuivit Flo, une course de vingt-quatre heure durant laquelle les pilotes d’une même écurie ne courts plus l’un contre l’autre, mais l’un avec l’autre. N'importe qui peut y participer tant qu’on a la voiture et l’équipage. La piste est longue, un peu plus de quatorze kilomètres, en bord de mer, dans la forêt, la piste la plus exigeante au monde, la plus technique. Ils le disent tous : “courir à Ostal Cristo, c’est courir comme nulle part ailleurs”. C’est probablement la course la plus dure qui puisse être.  

     – Et ça pendant vingt-quatre heures ?!  

     Ils hochèrent la tête.  

     – Il n’y a que les Mach 1 qui courent là-bas, fit Charlie, des étoiles pleins les yeux. La WRC continue à se morde les doigts de ne pas réussir à faire main basse dessus, si tu veux mon avis. On a toujours voulu y aller avec Flo. Tous les ans, on se précipitait pour acheter le numéro de Premier Virage qui détaillait la course. Il y avait toujours un encart en bord de page qui détaillait le nombre de voitures qui n’avaient pas franchi la ligne d’arrivée, par panne moteur ou sortie de piste. Et à la toute fin, il y avait les photos des pilotes qui s’étaient tué. Il y en a tous les ans, c’est inévitable.  

      – Et tout le monde trouve ça normal ? fit Tallie, sceptique.  

     – J’ai presque envie de dire que ça fait partie de la légende de ce Grand Prix, fit Flo, à demi-mot.   

      – C’est pas pire que ceux qui sautent en parachute, lâcha Charlie.  

      – Je préfère sacrément faire une sortie de piste à trois-cent cinquante kilomètre-heure que de m’écraser au sol après une chute libre, assura Flo avec aplomb.  

      – Ah ça, tu ne me feras jamais sauter d’un avion ! pouffa Charlie.  

      – Et pourquoi dis-tu que la WR... 

     – La WRC, compléta-t-il. Elle organise tous les championnats auto du monde et gère de très près toute la partie Nomad de la Mach 1. Ostal Cristo est considéré comme le tout premier circuit Nomad, mais la Ligue Française du Sport Auto refuse de leur céder la direction de la course.  

      – Ils ont trop peur que la WRC change l’aspect du Grand Prix, il est trop historique pour que les Français et les fans souhaitent que l’on y touche.  

Tallie avait bien saisi que Ostal Cristo était une sorte de patrimoine, mais elle se doutait qu’il lui faudrait le voir pour comprendre.  

       Ils passèrent la soirée à parler voiture, et les deux hommes se mirent mis en tête de faire toute son éducation sportive. Il y avait beaucoup de chose à savoir, à comprendre, mais une fois qu’elle avait mis le doigt dedans, elle se prit au jeu et ne vit pas le temps passé. Ils quittèrent le bar très tard, bien après que le dernier client fut parti. Après cela, Tallie rêva de course toute la nuit. 

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 *

 

      Ayant remporté sa place sur la grille, Antton n’avait pas à s’inquiéter des temps qu’il ferait aux essais, ni même aux qualifications. Cela étant dit, il voulait se donner toutes les chances d’entrer dans les points, et il savait qu’il devrait tout donner.    

     Il arriva en avance le vendredi, très en avance. Il avait pris le bus, sachant que Marietta et Agnès le rejoindraient à l’heure des essais, et avait franchi le portail du circuit alors qu’il était encore désert. Il avait déjà les mains qui tremblaient. Espérant trouver un peu de calme, il partit faire le tour de la piste à pied.  Elle était humide, car il avait un peu plu la veille. Le ciel était dégagé pour l’heure, et Antton espérait que le temps se maintiendrait. Il connaissait bien le circuit à présent, et il avait tourné suffisamment de fois pour pouvoir se rassurer en se disant qu’il n’aurait qu’à se concentrer sur le trafic et sur ses performances. Et puis, il avait cet avantage de savoir que sa voiture était déjà réglée au millimètre. La plupart des autres pilotes étaient arrivés dans la semaine, et auraient grandement besoin des deux séances d’essais libre.  

     Lorsqu’il revint sur les paddocks, les écuries commençaient à arriver, celles de Mach 2, mais également celles de Mach 1. Les garages étaient fermés, mais il savait que les voitures de la catégorie reine y dormaient depuis quelques jours déjà, bien à l'abri. Sa voiture à lui était toujours dans le garage du fond, à côté de nouvelles pièces entreposées par d’autres équipes. Il s’y rendit en attendant que les mécaniciens n’arrivent. Il les avait rencontrés peu de temps après ses premiers tours sur le circuit, mais devait bien admettre qu’aucun d’entre eux ne lui avait paru particulièrement sympathique. Ils faisaient le travail comme il fallait, étaient rapides pour changer les pneus et étaient de bons conseils, mais ça ne valait pas son père, ses oncles et ses amis. Ricky avait fait beaucoup, ces derniers temps, mais il allait être accaparé par Cromwell, et ne faisait pas partie de l’équipe de toute manière. Sur la piste, Atton était seul, mais ici, il l’était également hors du bitume.  

     Lorsqu’ils furent installés dans la ligne des stands, coincés tout au bout, tout près de la sortie, Antton observa l’agitation. Les écuries qui se savaient installées pour la saison se trouvaient proche de l’entrée, et une foule fourmillait autour d’eux. Les autres étaient plus humbles. En plus d’Antton, une autre écurie avait obtenu une place sur la grille au terme d’une course remporté la veille. Tous les ans, la dernière place du championnat constructeur était remise en jeu, et l’équipe perdante devait concourir avec d’autres écuries, amatrice pour la moitié d’entre elles, pour espérer participer à la saison. Cette année, pour célébrer les trente-cinq ans du championnat Mach 2, une chance supplémentaire avait été donné à une écurie qui, sans ça, n’aurait pu espérer se retrouver là, une chance qui pouvait se changer en véritable place dans le championnat, pourvu qu’Antton parvienne à réunir les fonds nécessaires pour participer à chaque week-end. Et cela ne dépendait que de lui.  

     – Alors, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Matthew après avoir enlevé le chariot de sous la voiture.  

     C’était peut-être bien le mécanicien qu’Antton préférait.  

     – Pas grand-chose, répondit Antton en remontant la fermeture de sa combinaison. Je doute qu’elle ait encore besoin de réglages après tout ce que nous lui avons déjà fait.  

Il hocha la tête.  

     Antton enfila son casque, puis ses gants, et se glissa dans le cockpit. Matthew vérifia ses sangles, puis lui fit signe d’attendre.  

     – Pas trop stressé ?  

Antton sursauta. Ricky s’était penché par-dessus le halo pour le saluer.  

     – On dirait que si.  

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     – Je te croyais en réunion stratégique, répondit Antton.  

     – Je n’ai pas pu m’empêcher de passer te faire un petit coucou.  

     Antton lui fit un sourire crispé.  

     – Un dernier petit conseil ?  

    – Tu n’as personne à impressionner, répondit-il. Ne cherche pas à trop en faire, mieux vaut que tu t’économises pour les qualifications et pour la course. Surveille les drapeaux, tes rétros, et ramène la voiture.  

     – À t'entendre, on croirait que je pars à la guerre.  

     – Sans vouloir t’effrayer, ces gars-là ne voient pas tous d’un très bon œil ta présence sur la piste.  

     – Génial...  

     – Reste concentré, surtout, et n’écoute personne. Je t’ai vu rouler : des gamins comme toi, il n’y en a pas cinq mille.  

     Matthew fit signe à Antton, et Ricky se redressa pour le laisser partir. Il s'inséra dans la file de voiture. Elles s’élancèrent une à une, et vint son tour de prendre la piste. Il s’octroya deux tours de préparation, le cœur battant, puis s’élança, sans tout donner pour autant. La voiture était parfaite, répondait bien, tournait, freinait, accélérait exactement comme il le souhaitait. Il fit une dizaine de tours, avant de rentrer aux stands.  

      – Alors ? demanda Matthew lorsqu’il en descendit.  

      – Rien à changer. Est-ce que je peux avoir ma feuille de temps ?  

      Le mécanicien hocha la tête et alla la lui chercher. En attendant, Antton leva les yeux vers le tableau des scores. Il culminait à la dix-septième place, pour vingt-trois pilotes. Il consulta ses temps, secteur par secteur, et en tira des conclusions.  

     – Tu crois que je devrais essayer de faire un temps ? demanda Antton en s’apprêtant à remonter dans sa voiture.  

     Il restait une dizaine de minutes avant la fin de la séance. Matthew interrogea le reste de l’équipe du regard.  

      – T’étais à combien, jusqu’à présent ? demanda John, le plus vieux d’entre eux.  

      – Peut-être... 65, 70 pourcents.   

    – Ne monte pas au-dessus de 85, répondit-il. Ça nous permettra de voir, sans trop en révéler ni pousser sur la voiture. Et avec un peu de chance, ça clouera le bec à certains d’entre eux.  

      Il désigna le reste des stands d’un signe de tête agacé. Une fois encore, la livrée bariolée d’Antton faisait parler. Il hocha la tête, et se glissa à nouveau dans le cockpit. Matthew le fit patienter, et l’envoya en piste lorsqu’il estimait qu’il sortirait loin du trafic.  

Il y eut un tour de préparation, puis un premier tour lancé. Sur le muret, les mécaniciens d’Antton le regardèrent traverser la ligne de départ/arrivé, puis tournèrent les yeux vers le tableau des scores.  

      – Ah, c’est déjà bien mieux, fit Matthew en inscrivant le temps sur la fiche. 

    Il y eut un deuxième tour, puis un troisième. A ce moment de la séance, la plupart des pilotes avaient inscrit des temps qui s’apparentaient à ceux qu’ils feraient lors des qualifications. Antton était remonté à la treizième place.  

      – C’est bien, c’est même très bien, approuva John.  

     Matthew hocha la tête.  

     – En maximisant nos chances demain, il pourrait bien faire une belle qualification.  

     Et puis, cela avait donné confiance à Antton.  

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