
Prologue

Le vieux San Juan était fermé, et la police patrouillait tout autour du périmètre. C’était la fin de la saison des pluies, et un crachin glacial habillait les rues bariolées de Porto Rico. La foule se pressait contre les barrières. Certains, rusés, étaient parvenus à se faufiler au plus proche. Les visages étaient collés derrière les fenêtres, larmoyants. Jamais on avait vu autant d’étrangers ici. Un hélicoptère, statique, patientait au-dessus des têtes, menaçant. De là-haut, il pouvait voir les rues engorgées, les voitures à l’arrêt. Jusqu’à l’aéroport, il y avait une longue file de gens qui attendait depuis l’aube et bien plus.
Le silence était lourd, presque irréel. Les cœurs étaient trop gros, ou trop serrés, pour que les mots parviennent jusqu'aux lèvres. Un bébé pleura. Peut-être avait-il faim, peut-être ne supportait-il plus de patienter sous la pluie. Dans ses cris, la foule reconnut la douleur qui les maintenait debout, immobiles.
Les regards, les caméras, les appareils photo, tous se tournèrent vers le bout de la rue dans laquelle apparut une berline noire. La voiture s’arrêta devant la cathédrale sans un bruit, et le garde du corps en descendit. Il patienta un instant, la main sur la poignée de la porte arrière, puis la femme en sortit. Elle était vêtue d’une robe longue d’un noir accablant, et portait une large paire de lunettes qui ne parvenait pas à dissimuler les larmes abondantes qui avaient tracé sur ses joues des lignes noires de maquillage. Les gens n’osèrent pas l’appeler, et fusillèrent du regard les journalistes qui crièrent son nom en appuyant presque compulsivement sur le déclencheur de leurs appareils.
Les flashs s’emballèrent, et cette image fit la une de tous les journaux du monde : “Tallie Collins, À jamais inconsolable.”
*
La conférence de presse tardait à débuter, et les journalistes commençaient à s’impatienter. Il y avait tant de gens dans la pièce, que les portes avaient été laissées ouvertes, que les gens se massaient, debout au fond, que les autres, assis par terre, faisaient attention à ne pas prendre trop de place. Il y avait là des dizaines de journaux différents, et les représentants, des journalistes aux avis divers. Personne n’avait été refusé, même s’il était certain que quelques-uns profiteraient de l’occasion pour répandre à nouveau des injures. Mais ça n’avait pas réellement d’importance, car ceux qui cherchaient vraiment la vérité sauraient où la trouver.
Ils arrivèrent en même temps, Franck Copland, Ricky Harris, et Cody Chapman. Il semblait avoir pleuré, mais personne n’y accorda d’importance. Ils s’installèrent sur l’estrade, réduisant la pièce au silence.
Copland jeta un coup d’œil aux deux autres, rapprocha un peu sa chaise, puis s’éclaircit la gorge. Il était le moins à l’aise des trois.
– Tout d’abord, merci d’être venu aussi... nombreux. Les derniers événements se sont déroulés dans la sphère privée, nous savons que beaucoup attendent des réponses, et c’est la raison de notre présence ici.
Frank était sorti de sa retraite spécialement pour cette occasion. Les journalistes n'avaient même pas attendu la fin de sa phrase avant de lever la main, stylos prêts et dictaphones allumés.
Lui et Ricky échangèrent un regard. Entre eux, Chapman soupira. Nonchalamment, presque à regret, il pointa du doigt un jeune homme assis au premier rang. Ravis, il se redressa dans sa chaise et appuya à plusieurs reprises sur le bout de son stylo.
– Beaucoup de rumeurs tournent actuellement, la question que je vais vous poser plane depuis quelques années déjà sans qu’une réponse tranchée n’ait jamais été donnée...
Le pilote pinça les lèvres, devinant déjà la suite.
– ... Est-il vrai que vous et Torres, vous détestiez au point que vos équipes respectives faisaient en sorte que vous n’ayez jamais à vous croiser durant les semaines de course ?
Le silence plana. Chapman dévisagea le journaliste un instant, comme s’il réfléchissait s’il devait répondre ou non. Puis il se redressa et croisa les bras sur la table. Le regard dans le vide, il prit quelques instants de plus pour choisir ses mots.
– Savez-vous ce que signifie “TRT”, dans “TRT Matagot Motorsport” ? commença-t-il. Mettons les choses au clair, voulez-vous ? Je ne suis pas venu parler de moi aujourd'hui. Je crois que j’aurais le temps de profiter de la gloire dans les quelques années à venir... ajouta-t-il avec un sourire en coin. Je suis venu pour parler de lui. Je crois que ça ne ferait de mal à personne si nous nous rafraîchissions un peu la mémoire.

